A Manciet...

Au plus fort de la tempête, scotchée à la fenêtre comme la moule à son rocher, Suzanne a attendu que « le noyer de la propriété tombe au beau milieu du jardin », persuadée que « le vent n'en ferait qu'une bouchée ».
Trois jours plus tard, dans la campagne de Manciet où le sablier s'obstine à retenir les heures dans son goulot d'étranglement, Suzanne, ne fait guère plus que ça, attendre.
Attendre que la lumière revienne, à Péramon, « le reste c'est superflu », parce que « sans elle, on est perdu et que le temps n'a jamais semblé aussi long ».
Attendre le retour du fiston, Christophe, parti déblayer les chemins avec les moyens du bord « parce qu'il faut bien que lui et les autres agriculteurs du coin s'en chargent en attendant l'arrivée des professionnels », celui de son mari, Célestin, « parti travailler la vigne parce qu'il ne tient plus en place depuis qu'il n'y a plus d'électricité ». Attendre la visite des élus qui ne s'attardent pas « car ils ont du pain sur la planche » ; celle des voisins, pas mieux lotis, mais qui, au moins, s'inquiètent « parce que le téléphone est coupé et que nul ne sait ce qui se passe chez vous ». Des voisins à qui l'on a prédit « un retour à la normale pour vendredi ».
Ce qu'on serait bien inspiré de croire pour garder le moral : « Ici ou là, le bruit circule que les habitants de tel ou tel hameau ont récupéré la lumière », explique Suzanne, « le plus souvent c'est vrai, mais parfois c'est une fausse alerte. On essaie de rester patients malgré tout ».

Grillés dans la cheminée
Parce qu'elle a connu, dans son enfance, « la vie sans électricité », Suzanne a retrouvé des réflexes de chef d'état-major. Pour nourrir « ses trois hommes », la maîtresse de maison n'hésite pas à puiser dans ses réserves de conserves, ni à faire griller les saucisses sur le feu de la cheminée.
« Hier, on a mangé des petits pois, aujourd'hui, des pâtes », plaisante Suzanne, « je ne crois pas qu'ils mourront de faim avant le retour de l'électricité ».
Bien sûr, il faut faire bouillir l'eau sur le feu avant que la nuit ne tombe : chez Suzanne, on ne s'éclaire qu'à la lumière d'une batterie de tracteur suspendue au-dessus de la toile cirée.
Une aubaine, cette bougie bricolée par le fiston qui, les mains dans le cambouis, a eu la bonne idée de la raccorder à une pile. « Je n'allume pas de bougies, ça fond trop vite », insiste Suzanne, « et quand on va se coucher on prend la pile. Moi, je la perds tout le temps dans mes poches ».

Bouffée d'oxygène
Plus d'électricité, plus de télé. Heureusement, le poste à piles marche encore. Sud Radio, c'est leur bouffée d'oxygène, le dernier lien qui les relie sûrement au monde. « On l'écoute en boucle, toute la journée parce qu'on y parle de nous », évoque Suzanne, « c'est la seule fréquence locale qui ne soit pas brouillée ».
Les dernières informations s'invitent alors au menu des conversations : « C'est vrai que depuis qu'on n'a plus la télé, on discute plus », confirme Suzanne, « mais, au final, on parle toujours de la même chose. De l'essence qui commence à manquer dans les stations et puis cette lumière qui ne revient pas ».
À trop ruminer, les esprits finissent parfois par s'échauffer : « Peut-être bien qu'on se dispute plus. Gentiment bien sûr, mais on sent qu'on a les nerfs en pelote. » Soudés, il faut pourtant rester.

D'après le quotidien "Sud-Ouest"
Auteur : Emilie Delpeyrat